Ses yeux s'ouvrirent lentement. Sa vision s'accoutuma rapidement à l'obscurité de la pièce. Un mur lui faisait face. Où était-il ? Pendant un court laps de temps, il ne se souvint de rien et puis comme par miracle tous ses souvenirs refirent surface dans son esprit. Il se leva agilement et scruta la pièce comme s'il avait voulu s'assurer que sa mémoire ne lui jouait pas de tour, mais il se trouvait bel et bien à Barek. Malco voulut hurler pour évacuer sa colère et son désespoir, mais il n'en fit rien. Combien de temps avait-il dormi, au juste ? Pas plus de deux heures en tout cas, car le sol était inconfortable et, à en juger l'obscurité de la prison, il faisait sûrement toujours nuit dehors. Malco s'adossa contre le mur gauche de la cellule et observa sa colocataire ; elle se tenait sur ses gardes et avait quelque chose en main, que manigançait-elle, au juste ? Malco détourna son regard et remarqua que sa garde était occupée devant une autre cellule... et elle avait laissé deux dagues et les clefs sur sa chaise, l'imprudente ! Les yeux de Malco s'illuminèrent : il n'avait qu'à prendre les deux armes et les clefs pour pouvoir sortir d'ici ! Ensuite il pouvait prendre la jeune garde en otage pour qu'elle ouvre les « portes magiques » qui barreraient la route : un plan facile et efficace.
Il s'était approché tranquillement des grilles sans bruit et sans se faire remarquer. Là où il se tenait, Malco n'avait qu'à tendre la main pour s'approprier les objets. Il entendit soudainement un sifflement, et, sans trop se poser de questions, il se déplaça vers la droite par réflexe. Une fléchette rebondit après avoir heurté un des barreaux de la cellule pour finalement s'écraser par terre. Malco ramassa la petite fléchette et l'examina : elle était surement empoisonnée. Il jeta un regard curieux vers sa colocataire qui n'avait toujours pas bougé, mais ça ne pouvait pas être elle car la fléchette venait de l'autre côté de la pièce. Malco entendit encore un sifflement, mais cette fois il n'avait pas eu besoin d'esquiver, la deuxième fléchette se planta dans le mur droit.
- C'est quoi ce b***** ?, jura Malco, un peu fort.
Il avait probablement attiré l'attention de tout le monde. Son plan parfait ne pouvait plus fonctionner maintenant que prisonniers et gardes risquaient de le voir. Malco s'empara de la fléchette d'un geste vif et la rangea dans la poche de son pantalon.
- Ce n'est rien... Je me demandais juste si je devais porter ces vêtements de prisonnier pendant 40 ans... Surtout que je déteste le marron... Désolé d'avoir crié.
Il avait employé un ton neutre, mais il craignait que son mensonge fût décelé. Mais Malco s'en fichait pas mal. L'important n'était pas d'avoir donné une explication peu crédible, mais d'en donner une justification. Sans se préoccuper des autres, il retourna au fond de la pièce lorsqu'il remarqua un trou dans l'angle du fond ; c'était donc de là que les fléchettes provenaient. Malco s'assit près du centre du mur du fond, là où les fléchettes avaient peu de chance de le toucher. Malco avait gardé les deux fléchettes par précaution, peut-être lui seraient-elles utiles dans le futur. L'agresseur qui l'avait attaqué un peu plus tôt venait de se faire un nouveau ennemi. Malco, de nature très rancunier ne connaîtrait pas le répit tant que l'agresseur serait toujours en liberté, et ce, même s'il devait reporter son évasion à plus tard. Pendant ce temps, le soleil s'était levé et une nouvelle journée remplie d'événements commença sur Barek.

Darius subit sans réagir le sarcasme de Khyle. Qu'aurait-il pu faire dans son état ? Il perdit donc un peu son intérêt pour ce que lui disait le prisonnier.
- Où l'emmène-t-elle ?
La question du jeune homme prit le garde au dépourvu. Il ne s'était pas attendu à ce que Khyle lui demandât des renseignements, et encore moins au sujet de Ténébris. Le jeune homme semblait porter beaucoup d'attention à la fille du Sorcier Noir, n'hésitant pas à défier Darius pour sa sécurité. Etait-il amoureux ? C'était peu envisageable pour quelqu'un comme le prisonnier fou, d'autant plus qu'il n'avait jamais parlé à la prisonnière, mais chaque possibilité était à prendre en compte. Le garde répondit donc au mieux d'après ce qu'il savait. Il ne voulait pas spécialement faire souffrir Khyle, aussi n'exagéra-t-il pas ses propos.
- Lottie semble être à peine plus qu'un chien pour Shaco, lui obéissant de son mieux et trouvant normal de se faire battre si elle n'est pas assez rapide. Elle doit donc amener Ténébris à son maître. Et, connaissant notre nouveau chef d'étage, il va sans doute la torturer, sans cela il serait fort possiblement venu lui parler ici. Ca ne me plaît pas plus qu'à toi, surtout que j'avais prévu quelqu'un d'autre pour l'interroger, mais je ne peux pas faire grand chose. Et je ne te conseille pas d'agir de façon irréfléchie pour la protéger, toi plus que personne devrait savoir que tu risques d'en souffrir.
D'un coup, le nouveau prisonnier se fâcha contre quelque chose. Il leur débita une histoire stupide sur la couleur des vêtements, puis se calma.
Darius remarqua avec horreur que les armes et les clefs de Laureya déposées près de la cellule des prisonniers. Si Malco n'avait pas hurlé, nul doute qu'il aurait pu se saisir des clefs et avoir de bonnes chances de s'échapper dès son premier jour. L'homme chercha un moyen de s’approcher et d'éloigner les objets sans que sa collègue passât pour une incompétente.
Une idée lui vint. Il s'approcha de la chaise sur laquelle sa collègue avait posé ses affaires, puis les déplaça d'un air négligent sur la table qui se trouvait à un peu plus un mètre de là, hors de portée des prisonniers. L'homme retourna donc s'asseoir sur la chaise. Il commença à parler à l'homme qui avait protesté contre le marron.
- Malco, c'est ça ? C'est vous le dangereux voleur que l'on a attrapé à Rymar ? Avec vos nombreux méfaits, vous allez sans doute passer beaucoup de temps parmi nous. Alors moi c'est Darius, et même si je ne suis pas chef d'étage, je suis probablement le plus expérimenté des gardes de cette section. Si vous avez des questions, vous pouvez vous adresser à moi. Sur ce, je vais retourner à mon poste et attendre que ma prisonnière revienne. On m'a confié la garde de Ténébris, peut-être en avez-vous entendu parler ?
Là-dessus, il se leva et retourna devant la cellule de sa prisonnière qui était absente. Il espérait avoir réussi à camoufler l'erreur de sa collègue, et surtout à avoir donné une bonne impression au criminel qui semblait à peine moins dangereux que Ténébris. Et Darius était inquiet pour Laureya. Le garde allait devoir veiller à ce que le nouveau criminel na fît rien à la jeune fille qui était malheureusement assez peu expérimentée. Arrivé devant sa cellule, il s'assit sur sa chaise et s'écroula, fatigué d'avoir passé presque deux jours d'affilé sans se reposer. Aussitôt le garde s'endormit, vidé du peu d'énergie qui lui restait pour combattre le restant de poison dans son corps.

Fireball, toujours assis, tendit la main dans laquelle il tenait le poison.
- Je n'ai rien à me reprocher, vous savez. Si je vous ai prévenus, c'est uniquement parce qu'il est possible de s'en servir contre l'agresseur.
Fireball remit le poison à Laureya.
- Bref, c'est tout. Je sais que je n'ai vraiment pas de raison de vous mettre en garde, mais bon... faites attention à vous. Ce traître pourrait vous attaquer n'importe quand ! Enfin, je suppose que vous ne m'écouterez pas, donc je retourne vaquer à mes occupations qui sont pourtant assez limitées.
Fireball s’assit ensuite à l'ombre du soleil, tout en pensant à cet agresseur, à ses origines...

- Oui... Agir sans réfléchir est l'une des portes vers la souffrance... soupira Khyle en se laissant glisser sur le mur jusqu'à s'asseoir.
Il fit une pause très brève avant de continuer :
- Tu n'as pas tort, Darius. Cette Lottie est le chien qui ne fait que rapporter le bâton à son maître. Nous savons déjà pourquoi ce maître désire que son chien aille chercher le fameux bâton. La question est : pourquoi l'a-t-il lancé ?
Effectivement... D'après les informations qu'il avait entendues venant de Ténébris, le fait qu'elle sût des renseignements sur Shaco affirmait qu'ils s'étaient connus par le passé. En tant qu'alliés ou ennemis, le prisonnier n'en savait rien. Mais lorsqu'il avait su qu'on emmenait Ténébris vers Shaco, une chose était sûre : ils avaient un compte à régler tous les deux. Un compte d'anciens alliés, l'un d'eux ayant trahi l'autre.
Pourquoi cette trahison ? Pourquoi le maître Shaco avait-il jeté ce bâton qu'était Ténébris ? Alliés, avait-il fini par la juger inutile ?
Ces questions s’entremêlaient dans sa tête. Il était fatigué, mais cette confusion lui donnait encore plus sommeil. Lentement, il se dirigea vers le coin qu'il avait élu logement et s'y adossa avant de fermer ses paupières. Qui sait, le sommeil lui apporterait des réponses...
Il eut du mal à s'endormir dans les premières minutes. Les pensées de ce qui se produisait dans la salle où Ténébris était prisonnière de Shaco l'empêchaient de trouver le sommeil.
Il ne pouvait rien faire. Juste... attendre que ça se passe.

Attention, message important :

Spoiler:

- Si je souhaite ôter la vie de quelqu'un en ce moment-même, c'est uniquement la tienne, Shaco.
Shaco fut loin d'être surpris par ce refus d'obtempérer de la part de Ténébris, c’était exactement ce à quoi il s'attendait.
- Je vois que tu ne t'es vraiment pas adoucie avec le temps ! Héhé ! Passons donc à une méthode légèrement plus efficace !
Shaco sortit ses dagues, les lécha en récupérant un peu de son sang et récita une nouvelle incantation magique. Il regarda Ténébris se tordre à nouveau de douleur.
- Tu vois ça ? C'est un peu comme si je t'avais poignardée à dix reprises, même si ça ne se voit pas physiquement. Tu sais, j'ai encore beaucoup d'autres moyens pour te faire parler. Niark, niark !
Shaco se tourna vers Lottie.
- Quant à toi, surveille les prisonniers et les gardes, on ne sait jamais... mais je ne crois pas qu'ils me soient très fidèles ! Héhé ! Et pour ce fameux agresseur, je réglerai ce problème en temps et en heure. Maintenant, pars !
Une fois encore, il s'adressa à Ténébris.
- Bien ! A nous deux, maintenant ! Héhé...

Ténébris avait achevé son récit, enfin le passé qui liait Shaco à la prisonnière était découvert. Jamais la jeune fille n’aurait imaginé que le chef de garde actuel avait été un jour du côté du Sorcier Noir. Lottie avait la forte impression d’en avoir appris beaucoup trop, les mots qu’avait lâchés la ténébreuse détenue quelques minutes plus tôt auraient dû être destinés aux oreilles de Shaco seules, et pas aux siennes. Les paroles de la jeune fille avaient balayé la salle sombre, l’atmosphère semblait pesante. Ténébris semblait tant souffrir du sort du Bouffon, et pourtant elle parlait, lui faisant ravaler son arrogance. Et Shaco, lui, ne cessait pas ses tortures, il utilisa à nouveau un sort de magie noire sans réellement se soucier des accusations et menaces de la prisonnière, avant de se retourner vers la gardienne et lui ordonner de se retirer.
- Continuer de la torturer encore et encore, jusqu’à ce qu’elle crache le morceau… En ne la connaissant depuis quelques heures seulement, je me rends compte qu’il est bien inutile de tenter d’obtenir un quelconque aveu de sa part ; si elle ne consent pas, elle ne révélera rien de sitôt, c’est pourtant chose à savoir après avoir passé des années en sa compagnie… grinça la garde avant d’obtempérer et de se retirer comme le lui avait dicté le Bouffon.
Elle eut l’impression de se sentir plus légère en regagnant le couloir, peut-être était-ce son cœur qui s’était allégé ? Elle regagna rapidement l’espace des cellules, certains gardes semblaient en pleine conversation avec des prisonniers, sûrement à propos de Shaco. La rousse repéra Laureya et la rejoignit vite sans trop prêter attention aux autres.
- Merci, lâcha-t-elle sans trop plus de cérémonies. Merci de m’avoir laissée filer tout à l’heure, c’était exactement ce dont j’avais besoin à ce moment précis. Maintenant…
Elle la prit par l’épaule afin de s’éloigner un peu des cellules et des oreilles indiscrètes et reprit :
- Bon, désolée d’être brusque, tu m’as demandé de t’expliquer ce qui s’est passé là-bas, je tiens vraiment à le faire. D’abord, je ne sais pas si la salle noire était aussi fournie sous la direction de votre ancienne chef, mais désormais, c’est un véritable salon de torture dans lequel je n’aimerais pas remettre les pieds un jour… Ensuite, Shaco semble manier la magie noire et celle des châtiments encore mieux que ce que je ne le pensais… prends garde à toi. Bref, il tient à faire cracher le morceau à Ténébris au sujet de ce qu’elle comptait nous révéler, elle lui tient toujours tête, mais reste à savoir pour combien de temps. Je la sais coriace, seulement c’est pas la seule, conclut enfin Lottie.
Elle avait préféré ne pas informer sa collègue au sujet de l’épisode du sombre passé des deux ennemis, cela ne devait sortir des murs de la salle noire uniquement si Ténébris y tenait.

Lis n'étoile x):

Le Bouffon n'avait même pas écouté Ténébris. Elle s'en trouva blessée : toutes ces années à ses côtés, et pas une seule marque d'attention pour la jeune femme. La colère, puis la haine, s'emparèrent d'elle.
Le garde reprit ses incantations. Ténébris se tordit de douleur.
Mais dans l'ombre, elle souriait. S'il savait...
Son geôlier distribua quelques ordres à la jeune garde, qui obtempéra. Mais avant de franchir le pas de la porte, Lottie décida de braver Shaco.
- Continuer de la torturer encore et encore, jusqu’à ce qu’elle crache le morceau [...] si elle ne consent pas, elle ne révélera rien de sitôt, c’est pourtant chose à savoir après avoir passé des années en sa compagnie…
Le sourire de la prisonnière s'élargit ; Lottie avait tout compris. Elle fut d'abord déçue d'avoir été déchiffrée en si peu de temps, mais elle finit par éprouver de la fierté d'avoir, contrairement au monstre face à elle, quelqu'un qui semblait être de son côté. Merci, pensa-t-elle.
- Bien ! A nous deux, maintenant ! Héhé...
La jeune femme leva les yeux vers le garde. Elle prit une profonde respiration, oubliant les douleurs qui la faisaient souffrir. Fatiguée, elle ferma les paupières, cherchant courage et énergie dans la silhouette de Korbo qui se détachait, lumineuse, du fond obscur.
Les douleurs s’amenuisèrent à mesure qu'elle voyait Korbo s'avancer vers elle.
- Shaco... commença-t-elle dans un souffle. Que tu me déçois ! Ces années de séparation ont visiblement diminué tes capacités intellectuelles ! Elle rit. Je viens de te dire que la torture ne me faisait pas peur. Les supplices que tu commettais, j'y ai assisté. Et j'ai appris à atténuer les douleurs, quand je ne les anéantis pas. Ce que tu fais ne me rend que plus forte. D'un signe de tête, elle désigna la porte. Même cette jeune garde a compris que tu n'avais aucune chance de me manipuler. Je ne suis plus ton pantin. C'est fini ! Et si tu crois m'avoir fait souffrir en récitant ta deuxième série d'incantations, tu as tout faux ! Elle se tortilla. C'est cette fichue menotte qui blesse mon poignet.
D'un mouvement habile, Ténébris se releva et frappa avec force le visage du garde qui semblait s'être figé en un rictus effrayant.
- Au moins, dans cette pièce, nous pouvons être traités d'égal à égal, lâcha-t-elle sèchement.
Elle fit tournoyer au-dessus de sa tête l'extrémité de la menotte. Avec agilité, elle parvint à lancer la chaîne autour du cou de Shaco tout en le forçant à se mettre à terre. Elle referma son puissant étau.
- Il n'y a pas de raisons que tu sois le seul à user de violence, ici. Mais tu vois, contrairement à toi, la magie, c'est pas trop mon truc. Je préfère les combats rapprochés. C'est dans ma nature, de ne pas être lâche, ce qui n'est pas le cas de certains... Suivez mon regard ! Elle étrangla Shaco plus fort encore. Le visage du Bouffon bleuissait. Tu vois, je suis maître de mon destin. A présent, c'est le tien que je peux manipuler. Pas besoin d'être devant les barreaux.
Ténébris permit enfin au garde de respirer. Elle le maintint toutefois au sol.
- Mais je ne suis plus une meurtrière. J'ai changé. Tu devrais faire de même. Tu as fait ton temps. Elle eut une pensée pour Khyle. Un de mes amis aurait ponctué ma phrase par un solennel « Echec et mat ». Je me permets d'utiliser son expression. Maintenant, parle ! Dis-moi quelle est ta décision !
Pour la première fois depuis plusieurs minutes, Ténébris invitait le garde à répliquer.

Lunaya s'était endormie. Ou plutôt elle avait basculé dans un demi-sommeil sans s'en rendre compte. Ce genre de phénomène était peu fréquent. En fait, il ne se produisait que lorsque quelqu'un s'apprêtait à utiliser la langue du Prophète dans les environs. Auquel cas elle "s'endormait" et vivait les sensations des victimes des sortilèges et pouvait identifier celui qui le lançait. C'était pourquoi elle se tenait souvent à l'écart des magiciens, par crainte de souffrir.
Elle sentit son esprit, totalement désincarné, sortir d'elle et, attiré comme un papillon par une lampe, se retrouva dans la légendaire salle noire. On y avait torturé les plus grands criminels d'Alysia, notamment le très célèbre Briarvock l'Égorgeur. Qu'est-ce qu'il s'y passait ? Elle n'allait pas tarder à le savoir.
En effet, quelques secondes plus tard, elle identifia le mage... Shaco ! A quelques dizaines de mètres, son corps jura :
- Et m**** !! J'aurais dû le savoir !
Elle ne s'en rendit pourtant pas compte. Finalement, elle sut que Shaco torturait Ténébris, que Lottie était présente et... et surtout, que si Shaco torturait vraiment Ténébris, elle souffrirait et cela ne passerait pas inaperçu. De là où elle était, elle n'entendait aucun son, aucune parole, n'avait aucune sensation. Elle était... ailleurs.
Puis Shaco murmura des mots en Alysien Ancien. Aussitôt, la douleur s'empara d'elle et elle hurla. Elle se doutait que là-bas, dans sa cellule, son corps se tordait de douleur, que des visages étonnés apparaîtraient et la regarderaient comme une bête curieuse. Elle eut un bref moment de répit, où elle s'imagina haletante sur le sol dur et froid, tentant désespérément de revenir, de se réveiller, d'échapper au cauchemar... Mais c'était inutile. Elle devrait attendre que Shaco cessât la torture.
De nouveau, Shaco murmura les mots de la Souffrance Absolue. Et de nouveau, elle se tordit de douleur et hurla.
Hurla... Hurla... Hurla...
- Aaaaaaaaaaaaaaarrrrrrrrggggggghhhh !!!!
Puis bizarrement, elle sentit qu'il y avait un fil invisible, qu'elle n'avait jamais distingué, qui lui permettrait de revenir dans son corps et de se couper des souffrances de Ténébris.
Le plus rapidement possible, elle remonta jusqu'à sa cellule où elle reprit conscience. Elle était en sueur, et sentit une intense douleur dans la jambe... son ventre... sa poitrine... La fléchette... L'agresseur... Le poison... Une fois... Non. Peut-être deux. Elle ne savait plus rien. Elle avait tout oublié.

Fireball était toujours allongé sur les coins de sa cellule, les yeux fermés, quand un cri inhabituel retentit :
- Aaaaaaaaaaaaaaarrrrrrrrggggggghhhh !!!!
Il pensa alors : J’espère tout de même que j'étais plus silencieux quand je me prenais des fléchettes... Il vit Lunaya à terre et remarqua également que Ténébris n'était toujours pas revenue. Partie dans une salle de torture avec Shaco, ce Bouffon en cosplay. Derrière cette apparence étrange se cachait un homme mystérieux, fou et magicien.
Je le sens d'ici, qu'il a l'air vachement doué. C'est pas de la vieille magie où on fait apparaître un lapin ! C'est clairement un sort de torture qui provoque de grandes douleurs.
Il s'allongea sur son lit en regardant les prisonniers, les gardes,la prison.
De cet endroit, il interpella Lottie, fraîchement arrivée.
- Excuse-moi, sais-tu quand est le prochain temps libre ? Enfin, je ne sais pas si tu sais ce que c'est, mais voilà, je te demande si tu es au courant de ça.

Spoiler:

La voix de son voisin s'adressant à Lottie l'informa tout de suite de l'arrivée de la garde. Il sourit. Le chien avait enfin abandonné son poste aux cotés de son maître et si le jeune prisonnier voulait savoir ce qui s'était produit dans la salle sombre, il fallait qu'il lui tendît gentiment l'os. Le blond s'approcha lentement des barreaux pour être le plus proche possible de la rousse et railla assez fort :
- Le maître s'est satisfait du travail de son fidèle serviteur ! commença-t-il sans l'associer à l'animal qui ne cessait de lui traverser l'esprit. Il l'a enfin dispensé, à ce que je vois.
Il regretta très tôt ce qu'il venait de dire. Lottie prenait Laureya par l'épaule et lui parlait d'une voix basse mais imprégnée d'inquiétude et d'anxiété. Même si elle essayait de dissimuler ses sentiments en gardant un visage impassible, sa voix la trahissait. Cela ne pouvait signifier qu'une une chose : la rousse rapportait à sa collègue le compte rendu de ce qu'elle venait de voir dans la salle noire. Mais malheureusement pour Khyle, bien que le ton de voix fût facilement identifiable, les paroles ne lui parvenaient que comme marmonnements.
Toutefois, le message était clair : le serviteur trahissait son maître.

L'homme ne pensait à rien quand il était à terre, cela ne lui faisait rien ; la seule chose qu'il montrait était un grand sourire aussi affreux que son passé. D'un geste rapide, l'homme balança Ténébris contre le mur avant de se relever tranquillement. Il dit :
- Que crois-tu, Ténébris ? Tu pensais pouvoir me tuer comme ça ?! Mais c'est tout simplement impossible !!! Il reprit son calme avant de reprendre. Tu ne peux rien, ici, Ténébris ; je maîtrise tout cet endroit ! Et ne crois pas que mes incantations ont été faites pour te faire du mal, elles ont tout simplement été dites pour te lier à moi... Je meurs, tu meurs... c'est aussi simple que ça !!! Niark niark !!!
Shaco prit donc Ténébris par le cou et récita de nouvelles incantations qui empêchèrent cette fois la prisonnière de se défendre.
- Les nouvelles incantations que je viens de prononcer paralysent tes petits membres tout frêles, tu ne peux donc te défendre. Dis-moi tout si tu ne veux pas que toutes les personnes ici meurent avec nous... J'avais oublié de te dire que je les avais toutes liées à moi !!!! L'homme s'assit sur une chaise et reprit. Ils m'ont tous trahi, il méritent bien de mourir, non ?
Un sourire s'afficha sur son visage...

Shaco envoya Ténébris contre le mur d'un geste violent. La femme ne put réprimer un cri de douleur.
- Que crois-tu, Ténébris ? Tu pensais pouvoir me tuer comme ça ?! Mais c'est tout simplement impossible !!! [...] Et ne crois pas que mes incantations ont été faites pour te faire du mal, elles ont tout simplement été dites pour te lier à moi... Je meurs, tu meurs... c'est aussi simple que ça !!! Niark niark !!!
Le Bouffon reprit ses incantations tout en saisissant la prisonnière par le cou. Elle avait beau vouloir se débattre, elle ne le pouvait pas ; la magie l'avait immobilisée. Impossible d'esquisser le moindre mouvement. Elle parvenait à peine à respirer.
- Dis-moi tout si tu ne veux pas que toutes les personnes ici meurent avec nous... J'avais oublié de te dire que je les avais toutes liées à moi !!!!
Ténébris dut le reconnaître : elle avait une fois encore échoué face au terrible Bouffon, qui demeurait imprévisible, qu'on le connût bien ou non.
Il était malin.
Il était puissant.
Il était redoutable.
Il était vainqueur.
Tel un monarque, Shaco s'assit sur une chaise et reprit son discours :
- Ils m'ont tous trahi, il méritent bien de mourir, non ?
Un large sourire effrayant se dessina sur le visage du garde, qui jouissait de son pouvoir avec une joie et un plaisir extrêmes.
Ténébris voulut le questionner, mais plusieurs raisons l'en empêchèrent. Tout d'abord, c'était visiblement à lui de l'interroger ; ensuite, si elle faisait mine de s'intéresser à lui, son ego déjà bien surdimensionné serait flatté ; enfin, la peur et la magie l'immobilisaient. Pas moyen d'articuler un seul mot ! Parle !,s'ordonnait-elle pourtant de toutes ses forces.
Soudain, la jeune prisonnière perdit connaissance. Epuisée de devoir résister, désolée de ne pouvoir se venger, écœurée par ce monstre, elle avait inconsciemment cédé.
Si la magie ne l'avait pas retenue, ses jambes se seraient dérobées sous son poids.

Après avoir remis le poison à Laureya, Fireball s'était retiré, au grand soulagement de celle-ci. La jeune garde rangea la fléchette de poison dans sa poche, après l'avoir enrobée dans un tissu. Elle reprit ses armes et lorsqu'elle retourna s'asseoir, Lottie arriva. Avec un air inquiétant. La rousse lui envoya quelques remerciements avant de l'attraper pour s'éloigner. Elle se lança ensuite dans un discours que la blonde écouta avec attention.
- Bon, désolée d’être brusque, tu m’as demandé de t’expliquer ce qui s’est passé là-bas, je tiens vraiment à le faire. D’abord, je ne sais pas si la salle noire était aussi fournie sous la direction de votre ancienne chef, mais désormais, c’est un véritable salon de torture dans lequel je n’aimerais pas remettre les pieds un jour… Ensuite, Shaco semble manier la magie noire et celle des châtiments encore mieux que ce que je ne le pensais… prends garde à toi. Bref, il tient à faire cracher le morceau à Ténébris au sujet de ce qu’elle comptait nous révéler, elle lui tient toujours tête, mais reste à savoir pour combien de temps. Je la sais coriace, seulement c’est pas la seule.
Laureya fut un peu assaillie par le nombre d'informations. Elle respira calmement, sentant son cœur se serrer. Mais pourquoi est-ce que tout était aussi compliqué à Barek depuis l'arrivée de Ténébris ? Le pire, c'était qu'elle sentait que c'était loin d'être fini... Elle chassa cette idée et réalisa qu'elle devrait répondre a sa collègue.
- La salle noire n'était pas utilisée avec Erza... Pas que je sache. Je n'ai pas non plus l'intention d'y séjourner, je ferai attention. J'avais bien remarqué qu'il pratiquait assez bien la magie, mais plus tu en parles, plus il me fait peur... Pour Ténébris, qu'il la torture autant qu'il voudra, j'en ai rien à cirer... Après tout, elle n'a que ce qu'elle mérite. La seule chose qui est importante pour l'instant, c'est de rester en vie. Et d'éliminer l'agresseur, de préférence... Shaco sera notre principal problème, mais plus tard. Je vais dormir ; tu devrais faire de même. Les remplaçants devraient bientôt arriver.
Laureya, un peu étonnée de ne pas avoir les larmes aux yeux mais plutôt des images sadiques alors qu'elle avait évoqué la prisonnière, termina ce court dialogue ainsi. Elle vit bien que Khyle avait abordé Lottie, alors elle la laissa filer. La jeune femme se dirigea vers un autre étage où les chambres des gardes se trouvaient. Se laissant tomber sur son lit, elle repensa à quel point voir la fille de Darkhell morte serait agréable. Laureya s'endormit, laissant vagabonder ses pensées sadiques.
Et surtout, mortelles.

- Malco, c'est ça ? C'est vous le dangereux voleur que l'on a attrapé à Rymar ? Avec vos nombreux méfaits, vous allez sans doute passer beaucoup de temps parmi nous. Alors moi c'est Darius, et même si je ne suis pas chef d'étage, je suis probablement le plus expérimenté des gardes de cette section. Si vous avez des questions, vous pouvez vous adresser à moi. Sur ce, je vais retourner à mon poste et attendre que ma prisonnière revienne. On m'a confié la garde de Ténébris, peut-être en avez-vous entendu parler ?
Malco était surpris ; il leva la tête pour regarder le garde : c'était quelqu'un d'assez imposant. Malco aurait voulu répondre à ce Darius, mais le garde était déjà parti un peu plus loin et le prisonnier n'avait pas envie de se lever pour l'instant. Soudain, il remarqua que les armes de sa garde avaient été déplacées un peu plus loin, hors de portée. Malco doutait que Darius lui eût adressé la parole sans intention aucune, mais heureusement, Malco avait réussi à garder deux fléchettes empoisonnées sur lui. Il faisait un peu plus clair dans la prison et Malco avait enfin pu voir sa colocataire : une jolie elfe aux cheveux bruns. Après maintes hésitations, il se racla la gorge et s'adressa à sa colocataire.
- Je crois que nous ne nous sommes pas encore présentés. Moi c'est Malco ; et toi ?
Malco s'était adressé à sa colocataire non pas parce qu'il voulait se lier d'amitié avec celle-ci, mais plutôt parce qu'il détestait rester seul. Malco attendit une réponse quelconque.

Darius avait été réveillé par un autre garde au teint basané qui, sans un mot, avait pris sa place devant la cellule de Ténébris. L'homme s'en voulait de s'être endormi avec Laureya qui aurait pu être attaquée par Fireball et aucun autre garde présent. Il posa un regard pensif sur Malco qui avait commencé à parler avec sa codétenue. Jusqu'à maintenant dans sa carrière il n'avait vu que trois prisonniers vraiment dignes d'être arrivés à Barek. Ténébris, bien sûr, un empoisonneur de la pire espèce qui avait commis des centaines de meurtres et aussi Khyle qui était sans doute beaucoup plus dangereux qu'il ne le laissait paraître. Les prisonniers qui gardaient leur clame en prison étaient souvent les plus dangereux. Et Malco était de ceux-là. D'après le bref aperçu qu'il avait eu de l’escroc ainsi que d'après la liste incroyablement longue de ses crimes, il venait de trouver une quatrième personne à ajouter à la liste des criminels vraiment dangereux.
- Le maître s'est satisfait du travail de son fidèle serviteur ! Il l'a enfin dispensé, à ce que je vois.
C'était Khyle qui venait d'exprimer sa pensée. Visiblement, le joueur d'échecs fou était du même avis que lui sur Lottie. Lottie qui était justement revenue et qui parlait avec Laureya. Il allait laisser les filles discuter, Laureya viendrait le trouver si elle apprenait quelque chose d'important. Lottie était sans doute un chien soumis entièrement à Shaco, mais elle était un fin limier qui déterrerait de toutes ses forces toutes les informations dont son maître avait besoin. Quand sa blonde collègue partit à l'étage supérieur, sans doute pour aller dormir, il décida d'aller voir la rousse bien qu'elle souhaitât peut-être répondre à la provocation de Khyle.
- Dites-moi, jeune fille, il ne vous est jamais venu à l'esprit que vous deviez demander la permission du garde en charge d'un prisonnier si vous pouviez l'amener ? Ou au moins l'informer que c'est le chef des gardes qui vous envoie ? Au vu de votre attitude incroyablement soumise que je n'ai jamais vue, pas même chez des esclaves contraints par magie de travailler, je ne doute pas que c'était pour Shaco que vous êtes venue chercher Ténébris, et surtout pas par votre initiative. Pour réparer ce manquement au protocole, j'aimerais bien savoir où vous avez amené ma prisonnière, et pour quelle raison. Si c'est pour la torturer, j'espère que vous avez un motif.
Le garde n'avait aucunement tenté de dissimuler le mépris dans sa voix et avait parlé d'un ton assez fort pour que tout ceux présents l'entendent... Certes, elle lui avait semblé sympathique au départ et ressemblait beaucoup à une ancienne connaissance, mais il était déterminé à lui parler le moins possible, ou seulement pour la reprendre sur une erreur. A chaque fois qu’elle ferait quelque chose de travers et que Shaco ne la punirait pas, Darius serait là pour le lui faire remarquer et le ferait d'un ton assez fort pour que tous le remarquent. S'il pouvait affaiblir la servante de Shaco, il affaiblirait en même temps son maître sans qu'il s'en rendît compte.

Lottie se retourna distraitement vers la cellule qui abritait Lunaya. La prisonnière avait l'air anormalement agitée et murmurait des bribes inaudibles. Et puis, elle se demandait si Laureya aurait foi en ses paroles et comptait prendre garde comme elle le lui avait conseillé. Fireball l'interpella :
- Excuse-moi, [...] si tu es au courant de ça.
La garde se retourna vers le jeune prisonnier allongé sur son lit de cellule.
- Je n'ai pas plus d'information à propos des "temps libres", répondit-elle, même si on m'a informée de leur existence au sein de la prison. Tu ferais mieux de t'adresser à l'un des autres gardes ; l'un d'eux est forcément au courant.
A peine s'était-elle retournée qu'elle entendit une voix moqueuse l’interpeller.
Khyle. Et il se moquait ouvertement d'elle.
Ses poings commençaient sérieusement à la démanger depuis son arrivée à Barek. Elle tourna la tête à moitié :
- Khyle, Khyle. Khyle Royblant, c'est bien ça ? La pusillanime réputation de ta famille ne me fait voir qu'un poltron en face de moi. Raille tant que tu le souhaites, sache seulement qu'en voulant t'attirer les foudres des gardes par tes ridicules provocations, le seul trophée que tu as des chances de décrocher est... la division de la prison. Aussi, il est stupide de ne pas plutôt chercher à faire le contraire étant donné la présence du fameux assassin au cœur de Barek. Enfin, agis à ta guise, acheva-t-elle.
Lottie tourna à nouveau la tête, Laureya lui avait répondu, ses paroles avaient au moins le don d'être un tant soit peu rassurantes, bien que son avis concernant la fille de Darkhell semblât empreint de haine. Au moins se méfierait-elle de Shaco. Avant qu'elle n'ait le temps de réfléchir à quoi que ce soit, ce fut Darius qui l’aborda cette fois, la voix lourde de reproches :
- Dites-moi, jeune fille, il ne vous est jamais venu à l'esprit que vous deviez demander la permission du garde en charge d'un prisonnier si vous pouviez l'amener ? [...] j'espère que vous avez un motif.
- Un motif, hein ? Peut-être celui de vous épargner des souffrances que vous auriez été contraint d'endurer si je n'avais pas rempli ma tâche assez rapidement depuis que Shaco a pris la meeeeerveilleuse résolution de torturer ses gardes deux fois plus, et qui n'auraient pu qu'empirer votre état, siffla la rousse en veillant bien à ce que ses paroles n’atteignent que son interlocuteur. Peut-être l'envie d'en savoir plus sur le fil du passé qui unit ces deux là, peut-être la simple peur de devoir subir un des autres supplices du Bouffon en faillant à une mission dont il aurait de toute façon vite fait de s'occuper lui-même. Quel intérêt, donc, de faire retarder sa demande pour en arriver au même point au final ? lâcha-t-elle froidement. Votre prisonnière se trouve dans la salle noire, sous demande du tortionnaire de service. Je suis la première à regretter de l'y avoir conduite, mais sans vouloir me mêler de leurs affaires, ils ont des comptes à régler, des choses ont été trop longtemps tues entre eux, ils avaient tous deux besoin de cette confrontation en face à face, à mon avis, jugea-t-elle. Je suis à blâmer cependant, et tout à fait d'accord sur le fait que j'aurais dû demander une autorisation avant de mener votre prisonnière où bon me semble. Mon empressement m'a fait oublier ça et je jure de ne plus recommencer... Pour terminer, je me fiche du regard qui peut m'être adressé, me considérer comme une esclave comme semble le faire Khyle ou me voir tout autrement, cela m'importe peu. La vision extérieure ne m'apporte absolument rien, qu'on m’idolâtre ou qu'on me haïsse, il n'y a qu'une maigre frontière, en réalité.
La garde s'étira, elle serait bien allée se coucher comme sa collègue mais l'envie n'y était pas. Elle saisit un petit tabouret et s'assit près de la cellule à laquelle elle était assignée en jouant négligemment avec l'une de ses mèches de cheveux. Les aiguilles défilaient rapidement sur le cadran et les minutes passaient à Barek.

Royblant...
Tremblants, les doigts de Khyle s'écartèrent, laissant tomber au sol la pièce représentant sa famille : un roi taillé dans de la roche blanchie. Quand le bruit sec du roi blanc affalé par terre résonna dans la pièce sombre, le sourire sournois de Khyle avait complètement quitté son visage, laissant place à une ombre.
- Les longues années que j'ai passées enfermé ici ont été suffisantes pour effacer mon nom des mémoires, dit-t-il d'une voix maussade. Et les nouvelles recrues ont l'utile tâche de leur rappeler ce nom qui est dit « maudit » par toutes les bouches de l'armée...
Le blond essaya de ne pas faire attention aux souvenirs qui refaisaient surface en son esprit, mais sa volonté avait déjà perdu d'avance son combat contre ces souvenirs.

Un manoir de décrépitude, portant dans son jardin aux fleurs fanées une pancarte rongée par les thermites : « Manoir Royblant ». Ses aïeux l'avaient connu beau et resplendissant, mais ce privilège n'était pas donné à leurs descendants. Ce bâtiment était le parfait reflet de ce qui était arrivé à la famille qu'il abritait depuis toujours.
Une famille autrefois très riche, à présent dans la déchéance. Un manoir autrefois très admiré par les passants, une famille très respectée par autrui...
Une famille méprisée par tous, un manoir où les passants crachent.

Déconcentré, Khyle n'avait écouté que quelques fragments de ce que Lottie avait dit à Darius et à lui-même. Toutefois, ils étaient suffisants pour expliquer que le prisonnier avait complètement tort à propos de la garde. Et il le reconnut. Lottie n'obéissait pas aux ordres du Bouffon que pour le plaisir de son maître, comme le ferait un bon chien. La rousse était comme oppressée par la responsabilité que le Bouffon lui avait jetée sur les épaules. Une responsabilité qu'elle n'avait jamais voulu avoir.
La tête de Khyle se noya d'un nouveau flot de souvenirs. Le chien n'était plus une bonne comparaison... La comparaison la plus appropriée était...
Lui-même.
En tant que Khyle Royblant.
- Lottie... marmonna-t-il à la garde qui s'était assise près de sa cellule. Sais-tu que le pion est souvent désigné comme l'incapable, l'esclave ? Mais une fois qu'il se trouve dans le territoire ennemi, il peut devenir la pièce la plus importante du jeu. Celle qui finira par donner un "échec et mat" à l'adversaire.
Il espéra que la garde comprenait sa métaphore qui était l'une de ses nombreuses ayant un rapport avec les jeux d'échecs. Néanmoins, c'était plus fort que lui : lorsque Khyle voulait donner un conseil à quelqu'un, la meilleure chose pour lui était de le codifier pour que la personne puisse l’interpréter à sa façon, et ainsi suivre son propre chemin... non pas celui imposé par le prisonnier fou qu'il était.
Ayant peur de ce qu'il allait apprendre, Khyle ne posa aucune question sur sa famille à la garde. Pourtant, elle semblait être la seule ici à savoir ce qui lui était arrivé depuis l'emprisonnement du jeune homme.

Tiens... C'est bizarre : mon médaillon a disparu...
Les premières pensées de Lunaya furent totalement incongrues : son médaillon lui avait été confisqué à son entrée en prison. Dans ce cas, pourquoi y penser ?
On me le redonnera quand je partirai, dit une voix dans sa tête.
Oui, mais j'en ai besoin tout de suite ! rétorqua l'autre voix.
Cela continua ainsi une bonne vingtaine de minutes, puis la deuxième voix prit le dessus. L'elfe se leva et marcha lentement jusqu'aux grilles. Elle appela :
- Darius ! Excuse-moi, mais saurais-tu où est mon médaillon ? Si c'est possible, peux-tu me le rapporter ? J'en ai besoin.
Patiemment, elle attendit l'inévitable question du garde : « Pourquoi ? »
Elle préparait même sa réponse. J'ai l'impression d'être... envoûtée. Mon médaillon est spécial : si un elfe le porte, il sera protégé et immunisé contre tous les envoûtements. S'il vous plaît... Rendez-le-moi...
Darius, ou un autre garde, accepterait-il ? Elle espérait très fort que oui, sinon, elle s'affaiblirait considérablement...

Fireball était assis à réfléchir, lorsque soudainement il sentit son bras le picoter. Il leva la manche de sa tunique ; il y avait du sang.
Il fut surpris : il semblait n'y avoir aucune raison de saigner. Il retira sa tunique pour examiner la possible plaie. Son bras s'était infecté, probablement à cause des conditions peu hygiéniques de la prison ; le point de départ était l'endroit précis où la fléchette s'était logée. Son membre était à présent couvert de sang.
Là n'était pas vraiment le problème... son bras était devenu rougeâtre.
Fireball fut surpris lorsque le pan de sa tunique brûla en un instant. Une douleur fulgurante le parcourut.
Bon, là, c'est clair... c'est pas net du tout. Je vais tout de même interpeller un garde, pensa-t-il en cherchant le garde le plus proche. Il y avait bien Lottie, mais le prisonnier ne voulait pas la déranger dans sa palpitante conversation avec Khyle, son voisin. Il vit Darius un peu plus loin.
- Darius ! J'ai une question à te poser. Il montra alors son bras. Est-ce que tu sais si ce phénomène est normal ?

- Darius ! J'ai une question à te poser. Fireball montra son bras. Est-ce que tu sais si ce phénomène est normal ?
Jetant un coup d’œil au membre de Fireball, Lunaya oublia totalement sa question et devint blême. Ainsi donc, elle avait raison : c'était bien ce poison si rare, à l'antidote encore plus rare, qui recouvrait les fléchettes. En hâte, elle releva le bas de sa tunique et fut soulagée de ne voir aucune rougeur. Apparemment, il ne fonctionnait pas sur les elfes ou elle n'en avait pas reçu assez. Elle s'adressa à Fireball :
- C'est un phénomène parfaitement normal, mon cher.... Enfin... normal, pour les effets de ce poison ! Théoriquement, la brûlure devrait s'étendre à tout ton corps en quelques jours, sauf si nous trouvons l'antidote entre-temps, ce dont je doute. Il est très rare et très cher.
Elle ajouta :
- Je pense que si l'agresseur continue, tu ne seras pas le seul dans ce cas.
Puis elle s'adressa à tous :
- Je vous recommande de rester éloignés des zones rouges, vous pourriez être brûlés en quelques secondes.
Pour finir, elle répéta sa question à Darius :
- Saurais-tu où est mon médaillon, Darius ?

Darius avait été quelque peu surpris par la réponse de Lottie, bien qu'il ne se fût pas attendu à ce qu'elle fût aimable avec lui. Légèrement en colère après s'être fait réprimander pas plus aimablement que s'il avait été un domestique, le garde s'éloigna un peu et laissa la rousse parler avec Khyle. Presque instantanément, Lunaya lui posa une question concernant une espèce de médaillon, quand Fireball l'interpella aussi.
- Darius ! J'ai une question à te poser. Est-ce que tu sais si ce phénomène est normal ?
Le prisonnier avait le bras entièrement envahi par une teinte rougeâtre et sa tunique avait été brièvement dévorée par le feu. Les yeux agrandis par l'horreur, le garde entendit à peine la réponse de Lunaya tandis qu'elle vérifiait qu'elle n'avait pas cette rougeur. Darius n'attendit pas et pris le court poignard qu'il cachait dans sa botte pour se faire une légère incision dans le cou et regarda attentivement le morceau de peau qu'il avait. Il était aussi rouge que le bras de Fireball. Il était possiblement lui aussi condamné. S'il devait mourir, alors il emporterait une menace avec lui. Elle n'était pas là depuis longtemps, mais il savait cette personne très dangereuse, et il ne l'attaquerait pas s'il pouvait survivre.
- Saurais-tu où est mon médaillon, Darius ?
La question de la prisonnière tira Darius de ses pensées. L'elfe méritait une réponse, ne serait-ce que pour l'information qu'elle avait donnée et pour ce qu'elle pouvait lui apprendre.
- Ton médaillon est sans doute dans le bureau de Shaco, avec les effets personnels de chaque prisonnier. Si tu réponds à mes questions, je m'engage à aller le chercher. Juste comme ça, tu pourrais répondre à Malco pendant que je serai parti. Il ne serait pas prudent de te faire un ennemi avec qui tu partages une cellule jour et nuit. Premièrement, quel est l'antidote à ce poison dont tu parles ? Et ensuite, vais-je survivre au poison ou non ? Réponds honnêtement, je ne te blâmerai pas si tu me dis que oui, mais tu souffriras si tu me mens.
L'homme se retourna et releva un peu ses cheveux pour montrer sa plaie à la prisonnière. Il attendit anxieusement le verdict de Lunaya, parce que même s'il savait ce qu'il ferait s'il allait mourir, il souhaitait plutôt rester en vie.

- Très bien. Malco, je suis absolument désolée de ne pas avoir fait attention à toi. Je m'appelle Lunaya et (je suppose que tu l'as déjà deviné) je suis une elfe.
Puis elle s'adressa à Darius :
- Pour l'antidote, je sais peu de choses à son sujet, entre autres qu'il est rare, cher, qu'on ne le trouve qu'au Marché noir d'Oroban, tout comme le poison, d'ailleurs. Il me semble qu'il s'agit du pollen d'une fleur elfique, la Fleur Noire, je crois. Pour ta deuxième question... Il y a deux possibilités : la première, on retrouve l'antidote à temps et on peut vous guérir, Fireball et toi ; la seconde... On ne trouve pas l'antidote, on n'arrive pas à en improviser un et vous mourez tous les deux. Voilà, c'est tout.
Elle attendit la réponse du garde.

Fireball avait écouté les hypothèses de Lunaya et avait eu une révélation.
L'agresseur ! Il doit forcement avoir un antidote, afin de prévoir une éventuelle contamination par un garde ou un prisonnier !
Il chuchota quelques mots à Darius :
- Je pense que tu n'es pas censé pouvoir accepter ça, mais j'ai quelque chose à te proposer en privé. Le faire en public révélerait tout et mettrait une de nos uniques chances de survie en danger.

Après un très long moment d'attente, Malco répéta sa question une deuxième fois à l'elfe. Comme elle ne répondait pas, il n'insista pas d'avantage. Il présumait que la prisonnière l'avait entendu, car elle murmurait quelque chose et qu'il avait parlé assez fort pour qu'elle l'entendît. Est-ce que l'elfe l'ignorait ou n'était-elle tout simplement pas très bavarde ? Malco n'en savait rien. Il se remit alors à penser à un plan pour capturer l'agresseur et pour fuir Barek par la suite. Un peu moins de dix minutes suffirent à l'escroc pour concocter une machination presque infaillible. Il ne restait plus qu'à attendre le moment propice pour passer à l'acte. Malco accrocha discrètement l'une des fléchettes à l'intérieur de son pantalon. Soudain, sa colocataire se leva et marcha vers les grilles.
- Darius ! Excuse-moi, mais saurais-tu où est mon médaillon ? Si c'est possible, peux-tu me le rapporter ? J'en ai besoin.
Malco était frustré que la prisonnière ne lui adresse la parole alors qu'il lui avait parlé, mais surtout parce qu'elle avait eu le culot d'entamer une discussion sans même lui dire quelque chose. Elle ignorait Malco. Si l'elfe ne voulait pas lui parler, elle n'avait qu'à le lui dire, mais agir comme elle l'avait fait alors qu'elle ne le connaissait pas... c'était carrément vexant. Malco décida d'écouter la conversation quand un autre prisonnier s'adressa à Darius.
- Darius ! J'ai une question à te poser. Est-ce que tu sais si ce phénomène est normal ?
- C'est un phénomène parfaitement normal, mon cher.... Enfin... normal, pour les effets de ce poison ! Théoriquement, la brûlure devrait s'étendre à tout ton corps en quelques jours, sauf si nous trouvons l'antidote entre-temps, ce dont je doute. Il est très rare et très cher. [...] Je vous recommande de rester éloignés des zones rouges, vous pourriez être brûlés en quelques secondes.
Elle avait peut-être tort, Malco ne connaissait pas ce type de poison, mais il savait qu'en peu de temps on pouvait faire un antidote... Si l'on disposait d'un échantillon du poison, bien sûr. Peut-être que le voleur se trompait sur ce poison ? Il n'en savait rien.
- Ton médaillon est sans doute dans le bureau de Shaco [...] Juste comme ça, tu pourrais répondre à Malco pendant que je serai parti. Il ne serait pas prudent de te faire un ennemi avec qui tu partages une cellule jour et nuit. Premièrement, quel est l'antidote à ce poison dont tu parles ? Et ensuite, vais-je survivre au poison ou non ? Réponds honnêtement, je ne te blâmerai pas si tu me dis que oui, mais tu souffriras si tu me mens.
- Très bien. Malco, je suis absolument désolée de ne pas avoir fait attention à toi. Je m'appelle Lunaya et (je suppose que tu l'as déjà deviné) je suis une elfe.
Malco avait mis son orgueil de côté et s'apprêtait à répondre à Lunaya quand elle se détourna pour continuer à parler avec Darius. Malco était maintenant vraiment furieux ; Lunaya lui avait répondu avec un ton qui lui avait paru quasi sec, comme si elle faisait une sale corvée. D'ailleurs est-ce qu'elle lui aurait répondu si Darius ne lui avait pas dit de le faire ? Malco en doutait fortement. Cela m'apprendra à être aimable. Je ne lui adresserai plus jamais la parole, vu son comportement, pensa l'escroc. Blessé dans son orgueil, Malco décida d'écouter la suite de la conversation.
- Pour l'antidote, je sais peu de choses à son sujet, entre autres qu'il est rare, cher, qu'on ne le trouve qu'au Marché noir d'Oroban, tout comme le poison, d'ailleurs. Il me semble qu'il s'agit du pollen d'une fleur elfique, la Fleur Noire, je crois. Pour ta deuxième question... Il y a deux possibilités : la première, on retrouve l'antidote à temps et on peut vous guérir, Fireball et toi ; la seconde... On ne trouve pas l'antidote, on n'arrive pas à en improviser un et vous mourez tous les deux. Voilà, c'est tout.
Trouver le pollen d'une Fleur Noire en quelques jours était impossible. Malco doutait qu'on puisse trouver une sorte de Fleur Noire en plein désert ou encore d'aller à Oroban pour en trouver et revenir en quelques jours ; cela risquait plutôt de prendre des semaines. Malco se releva et se dirigea vers les grilles. Soudain, à mi-chemin, il hurla et tâta son épaule droite avec sa main gauche. Quelques secondes plus tard, il s'écroula par terre, mais eut le temps de murmurer :
- L'agresseur... Il m'a eu...
Malco gisait par terre, la main gauche ouverte. Une fléchette était posée sur sa paume.